Chez les enfants et adolescents souffrant un épisode
dépressif majeur, la psychothérapie est le traitement de référence.
En
cas d'échec ou de sévérité particulière, la prescription
d'unantidépresseur peut éventuellement être envisagée.
Afin de déterminer le rapport bénéfices - risques des antidépresseurs actuels
dans cette indication (traitement de seconde intention de la dépression
caractérisée de l'enfant ou l'adolescent), Andrea Cipriani et ses
collaborateurs ont effectué une méta-analyse en réseau, ce qui
a permis de comparer l'efficacité de 14 antidépresseurs et d'un placebo.
Les résultats de cette analyse internationale, publiés dans The
Lancet, "ne montrent pas un bénéfice clair"
d'une telle prescription, même si la fluoxétine montre une
efficacité supérieure au placebo et est mieux tolérée que d'autres
antidépresseurs. Une augmentation du risque suicidaire a
également été mise en évidence avec la venlafaxine (les données manquent pour
les autres molécules).
En pratique, si un antidépresseur s'avère nécessaire, les auteurs préconisent
d'utiliser la fluoxétine (conformément aux recommandations françaises), mais avec
prudence et mise en place d'un suivi étroit. Ils appellent aussi à la
réalisation d'autres études avec accès aux données individuelles des
patients, seul moyen pour évaluer correctement l'effet d'un
traitement.
De 0,5 à 6 % des enfants et adolescents seraient
confrontés à la dépression
Les troubles dépressifs sont les troubles mentaux les plus fréquents chez
les enfants et les adolescents.
D'après les données de l'Inserm mentionnées par
l'ANSM en 2008, 0,5 % des enfants
et 3 % des adolescentsde 13 à 19 ans seraient touchés. Selon une méta-analyse américaine publiée en 2006, les chiffres seraient encore plus importants : 2, 8 % des
enfants âgés de 6 à 12 ans seraient concernés, et 5,6 % des
adolescents âgés de 13 à 18 ans.
De plus, les auteurs rappellent que cette pathologie reste
sous-diagnostiquée et sous-traitée, notamment en raison de symptômes
moins typiques que ceux présentés par les adultes (irritabilité,
agressivité ou refus scolaire).
La psychothérapie est un traitement souvent efficace. Les antidépresseurs
sont éventuellement administrés en seconde intention
En cas de dépression caractérisée, la psychothérapie est le traitement
de première intention dont l'efficacité n'est plus à démontrer.
Un traitement antidépresseur peut être envisagé en cas d'échec de
la psychothérapie ou pour en faciliter le déroulement, comme le résument
les auteurs de la VIDAL Reco "Dépression". Chez les adolescents atteints d'une dépression sévère, ces médicaments
peuvent même être utilisés en première intention, "sous une
surveillance très étroite du risque suicidaire".
En France, seule la fluoxétine a une AMM pour les enfants et adolescents
En France, seule la fluoxétine bénéficie d'une AMM dans le traitement
des épisodes dépressifs majeurs(c'est-à-dire caractérisés) d'intensité
modérée à sévère en association à un traitement psychothérapeutiquechez
les patients de moins de 18 ans (à partir de 8 ans), après échec (non réponse)
de 4 à 6 séances de psychothérapie.
Méta-analyse en réseau pour hiérarchiser les antidépresseurs et évaluer leur
efficacitéversus placebo
La fluoxétine est-elle vraiment le seul antidépresseur qui peut avoir un
intérêt chez l'enfant ? Parmi les autres antidépresseurs disponibles,
lesquels auraient éventuellement un intérêt ou, au contraire, un rapport
bénéfices – risques négatif ?
Afin de le vérifier, Andrea Cipriani (chercheur en psychiatrie, Oxford) et ses
collaborateurs provenant de 7 autres pays (Chine, USA, Allemagne, Italie,
Australie, Pays-Bas... et France) ont effectué une méta-analyse en
réseau (comparaison directe et
indirecte des effets des antidépresseurs, cf. schéma infra, en
utilisant une approche statistique probabiliste, "bayésienne"). Ils ont opté pour cette méthode car les
méta-analyses appariées antérieures n'ont pas fourni de résultats clairs sur la
hiérarchisation des antidépresseurs disponibles (les nombreuses molécules
disponibles n'ont pas souvent été directement comparées).
Pour la première fois, les auteurs de cette méta-analyse ont donc cherché
à comparer et à classer l'efficacité de tous les antidépresseurs et du placebo dans
le traitement du trouble dépressif majeur chez les enfants et les adolescents à
travers l'étude de tous les essais randomisés en double aveugle
disponibles.
Les données de tous les essais comparant un antidépresseur avec un placebo ou
un autre antidépresseur actif, en monothérapie, par voie orale, dans le
traitement du trouble dépressif majeur chez les enfants et les adolescents ont
donc été collectées à partir de différentes bases de
données disponibles dans le monde : PubMed, Cochrane
Library, Web of Science, Embase, CINAHL, PsycINFO, LILACS, les sites internet
des organismes de réglementation et les registres internationaux pour les
essais contrôlés randomisés et en double aveugle publiés et non publiés
jusqu'au 31 mai 2015.
En cas de dépression résistante, de traitement de moins de 4 semaines ou
d'échantillon de moins de 10 patients, les essais ont été exclus de l'analyse.
Etude du rapport bénéfices – risques de 14 molécules
Au total, 34 essais ont été admis pour l'analyse. Ces essais
comportaient les données de 5 260 participants et 14
médicaments antidépresseurs : amitriptyline, citalopram, escitalopram, clomipramine, duloxétine, fluoxétine, imipramine, mirtazapine, paroxétine,sertraline, venlafaxine, désipramine, néfazodone et nortriptyline (trois derniers non
commercialisés en France).
Le schéma ci-dessous représente les données utilisées pour la
méta-analyse en réseau :
- les cercles représentent les médicaments : plus le diamètre augmente, plus le nombre de participants ayant pris cette substance augmente (placebo > fluoxétine > duoxétine, etc.) ;
- les traits représentent les comparaisons directes effectuées (essai clinique) entre 2 traitements : plus les traits sont épais, plus le nombre d'essais est élevé (fluoxétine vs placebo, paroxétine vs placeo) ;
- en l'absence de trait entre 2 substances, une comparaison indirecte peut être effectuée : fluoxetine vs placebo et placebo vs clomipramine => comparaison indirecte entre fluoxétine et clomipramine.
La moitié des essais inclus un échantillon recruté en
Amérique du Nord et seulement 12 % en Europe.
La durée moyenne du traitement était de 8 semaines (5 à 12),
et 82 % des essais (28 sur 34) concernaient des enfants et des adolescents
atteints de symptômes dépressifs modérés à sévères.
Le risque de biais a été évalué au moyen de l'outil Cochrane
("risk of bias
tool").
Les critères principaux d'évaluation étaient l'efficacité
(amélioration des symptômes dépressifs) et la tolérance (arrêt du traitement en
raison d'événements indésirables).
Une efficacité décevante par rapport au placebo. Une exception :
la fluoxétine
La qualité des résultats a été jugée "très faible dans la plupart
des comparaisons effectuées".
La fluoxétine a cependant été significativement plus
efficace que le placebo (différence moyenne standardisée -0,51,
Intervalle de crédibilité à 95% [ICr] -0,99 à -0,03). A l'inverse, la
nortriptyline s'est avérée significativement moins efficace que 7
autres antidépresseurs et qu'un placebo.
Des médicaments parfois mal tolérés, pouvant entraîner des arrêts prématurés
du traitement
En terme de tolérance, la fluoxétine fait mieux que la duloxétine (
[OR] 0,31, [ICr] 0,13 à -0,95) ou l'imipramine ( [OR] 0,23,
[ICr] -0,04 à -0,78). Le citalopram et la paroxétine se sont
avérés significativement mieux tolérés que l'imipramine. Cette dernière a
d'ailleurs été significativement moins bien tolérée que le placebo (5,49 ;
-1,96 à -20,86) tout comme la venlafaxine (3,19 ; -1,01à -18,70) et la
duloxétine (2,80 ; -1,20 à -9,42).
L'imipramine, la venlafaxine et la duloxétine sont les antidépresseurs associés
au plus grand nombre d'interruptions du traitement en raison
de leurs effets indésirables. Ces interruptions étaient plus fréquentes que
chez les patients sous placebo.
Une augmentation du risque suicidaire associée à la prise de venlafaxine ;
données manquantes pour d'autres antidépresseurs
Le risque suicidaire doit être pris en compte tout au long de
l'évolution de l'épisode dépressif et notamment en cas de mise en route d'un
traitement antidépresseur. Ce risque serait plus élevé chez l'enfant et
l'adolescent, d'où la nécessité d'une vigilance accrue, en particulier
lors des premières semaines du traitement.
L'analyse des auteurs confirme ce risque pour au moins un médicament : ils
ont constaté davantage de comportements suicidaires (ou idéations) chez les
jeunes sous venlafaxine par rapport aux jeunes sous placebo
(OR 0,13 ; 95% [ICr] 0,00 à 0,55) et sous 5 autres antidépresseurs
(escitalopram, imipramine, duloxétine, fluoxétine et paroxétine).
Cependant, en raison de l'absence de données fiables pour nombre
d'antidépresseurs, ce risque desuicidalité n'a pas pu être évalué pour tous les médicaments car les méthodes utilisées sont insuffisantes dans la plupart des essais.
Ces limites sont importantes à prendre en compte lors de l'interprétation des
résultats.
Analyse des biais : données de "très faible qualité", besoin de
données personnalisées.
En utilisant la méthodologie GRADE (The Grading of Recommendations Assessment, Development
and Evaluation) pour évaluer la qualité des données, les auteurs
estiment que cette qualité est "très faible"dans
la plupart des comparaisons. De même pour la faible qualité des
preuves dans le classement global des traitements en terme
d'efficacité et de tolérance.
De plus, l'interprétaiton de ces résultats reste limitée en raison de l'incertitude
entourant ces estimations, mais aussi des biais sélectifs
potentiels dus au petit nombre d'essais pour certaines molécules ainsi
qu'à la faible taille d'échantillon dans les essais
indépendants. Enfin, les auteurs n'ont pas eu accès aux données
individuelles des patients, alors que c'est le seul moyen pour évaluer
correctement l'effet d'un traitement.
En conclusion : scepticisme sur l'efficacité des antidépresseurs à cet âge,
même si la fluoxétine semble présenter un intérêt, en seconde intention
Malgré les biais et limites évoqués ci-dessus, plusieurs résultats sont
significatifs : 13 des 14 antidépresseurs étudiés ne semblent pas
avoir un rapport bénéfices–risques clairement positif, et la fluoxétine
semble éventuellement intéressante, sans qu'il soit possible d'affirmer que
cette efficacité est significative sur le plan clinique.
En pratique, le soutien psychologique reste bien entendu la priorité pour
prendre en charge une dépression de l'enfant ou de l'adolescent. En cas
d'échec, d'impossibilité d'accès à la psychothérapie ou de dépression sévère
d'emblée, et lorsqu'un traitement pharmacologique paraît nécessaire, les
auteurs estiment, au diapason des recommandations françaises, que la
fluoxétine reste la meilleure option à considérer.
La surveillance du risque de suicidalité reste recommandée dans les
premières semaines pour toute instauration d'un traitement antidepresseur.
En savoir plus :
L'étude objet de cet article
Cipriani A, Zhou X, Del Giovane C, Hetrick SE, Qin B, Whittington C, Coghill D,
Zhang Y, Hazell P, Leucht S, Cuijpers P, Pu J, Cohen D1, Ravindran AV, Liu Y,
Michael KD, Yang L, Liu L, Xie P. « Comparative efficacy
and tolerability of antidepressants for major depressive disorder in children
and adolescents: a network meta-analysis. »
Lancet, 8 juin 2016.
Autres études et travaux mentionnés dans cet article :
Mise au point - Le
bon usage des antidépresseurs chez l'enfant et l'adolescent, Afssaps (devenue ANSM), janvier 2008
E. Jane Costello, Alaattin Erkanli and Adrian Angold. “Is there an
epidemic of child or adolescent depression?”, J Child Psychol Psychiatry. 2006 Dec;47(12):1263-71
Sur VIDAL.fr :
VIDAL Recos
"Dépression", en particulier le paragraphe "Prise en charge de
la dépression de l'enfant ou l'adolescent".
Sources : The Lancet
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